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Cassis vu par les peintres

En l’espace d’un siècle, plus de deux cents peintres, venus de tous les horizons, se sont succédé ou côtoyés à Cassis.
 
De l’élargissement de la Gineste sous Louis-Philippe et de l’arrivée du train en gare de Cassis en 1859 qui en facilite l’accès jusqu’aux lendemains de la Seconde Guerre qui transforment définitivement le petit port de pêche en station balnéaire, pour bien des noms illustres venus du Nord le séjour fut décisif. 

Signac en 1889 y crée ses toiles les plus resplendissantes, les fauves Derain et Friesz en 1907 se tournent vers un cézannisme austère, en 1909 Matisse forge sa nouvelle manière avec « La Danse » et en 1910 Picabia invente l’abstraction sur place. Quant à l’allemand Wols, il dépasse en 1941 le surréalisme onirique et Dubuffet entre 43 et 44 fait surgir l’art brut ou informel. 

 Les peintres provençaux sur lesquels nous nous attardons ne sont pas en reste.

On leur doit d’abord l’invention d’un ciel et d’une mer bleus, là où le Midi était réputé gris. A preuve dès 1848, la plage de Cassis représentée en accords d’ocres-bruns et de bleus variés par Honoré Boze.  

Suivent Loubon et Guigou (en 1859 sa « Vue de la Gineste » du Musée d’Orsay donne à voir une Provence âpre, éclaboussée de soleil, aux formes déchiquetées), mais aussi à partir de 1865 Raphaël Ponson : outre ses vues du port, il entame une longue série sur la côte qui fait de lui l’inventeur des calanques en peinture

Plus traditionnels, un Chauvier de Léon amateur des lumières hivernales ou un Garibaldi, épris de sérénité et d’équilibre, aussi attentif à la vie quotidienne qu’il pérennise qu’aux paysages bercés d’un bleu intemporel.

Mais la nouveauté radicale était introduite dès 1884 par Monticelli : ce sont des ports enlevés en pleine pâte, au couteau et au doigt, striés d’éclairs colorés, miroitant de hachures et surtout, dépassant Turner, devançant Van Gogh et rivalisant avec le soleil, des vues de la côte au couchant où une boue d’or irradie le ciel.

Fauve dix ans avant les fauves, Seyssaud en 1895 suit ces traces et ce sont des barques au couchant stupéfiantes de modernité.

Bien plus sages, à l’orée de la Grande Guerre, un Manguin s’éprend des aloès face au Cap et met en scène son épouse comme une Bethsabée surprise au bain, un Verdilhan bouscule les couleurs et simplifie les formes, un Audibert joue avec les rouges et les rondeurs.

Toute une école marseillaise ouvre la voie aux touristes et peintres parisiens en célébrant le port. Ainsi d’Audibert sur un calendrier ou d’Allègre présentant en 1900 au Buffet de la Gare de Lyon un panorama de la baie. Tandis qu’Edouard Crémieux qui y a son domicile s’attarde sur paysages et activités du cru, le Toulonnais Nardi s’éprend des voiliers qui déploient leur mâture en accord avec les collines. 

Jean Guindon dans les années 20 découvre les possibilités que recèle la gouache sur papier noir ; des formes dramatisées et une dynamique nouvelle s’imposent à ses paysages. Il reçoit dans sa villa du Bérard nombre de peintres de « L’Ecole de Paris » (on parlera volontiers d’un « Montparnasse méditerranéen »), parmi lesquels un Léopold Lévy au style cursif.

Il nous faut passer sur les Espagnols, Allemands, Roumains, Russes, Suédois, Ecossais, Anglais du « Bloomsbury Club », Irlandais, Australiens ou Néo-Zélandais qui, pendant cette avant-guerre qui s’ignore, s’abattent sur Cassis « en été plus nombreux que des sauterelles » (écrit en 1926 Marcel Sauvage). Ne citons que le Grec Galanis, naturalisé Français et membre de l’Académie Française, dissimulant le village dans des ondulations de couleur, ou l’Américain Robinson qui élit résidence pour s’adonner à natures mortes stylisées et vues du port. Et comment ne pas évoquer ce réfugié et résistant tchèque naturalisé cassidain, Rudolf Kundera, qui, pendant la guerre, géométrise le miroir glacé des eaux ?

On sautera volontiers aux années 60 pour opposer à la palette bariolée du Marseillais Ambrogiani, dernier expressionniste provençal, le geste prompt et calligraphique de la Cassidaine Chris Vivanti, ultime peintre baroque. Entre les deux se tend, de la matière colorée à l’abstraction lyrique, tout l’espace pictural de Cassis.

Nous remercions les Musées, particulièrement le Musée Municipal de Cassis et la Fondation Regards de Provence, ainsi que les Galeries Marina à CassisAlexis Pentcheff à Marseille et les collectionneurs privés qui nous ont autorisés à reproduire leurs tableaux.

 

 

Pierre Murat

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