top of page
Désiré-Bienvenu, le facteur

Un chicoulon chez nous, c’est un petit verre de vin rouge que l’on boit à la fin d’un repas, un canon que l’on offre aux personnes qui passent vous voir à l’oustaou. C’est un signe de bienvenue, un signe d’amitié et nous avons même un dicton qui dit : 

 

                                         « un chicoulon raramen se refuse », il serait malvenu de refuser le verre de l’amitié.

                                     

            Si on refuse, on se vexe, on se fâche, on devient ennemi et cette rancœur se prolonge pendant des années, des               décennies sans que les descendants ne sachent plus exactement depuis quand les familles ne s’adressent plus la parole ni à               propos de quoi elles se sont fâchées. Il est donc important de ne jamais refuser les verres de l’amitié.

Dans son livre « Une année en Provence » Peter Mayle se dit surpris de voir arriver son facteur, les calendriers

sous le bras avec une gaîté inhabituelle, un regard plutôt évasif et surtout une envie de papoter sur des

choses insignifiantes.

 

Il est certain que l’Anglais ne connaissait pas encore le dicton, ni les coutumes locales et son bon facteur

n’avait pas pu refuser les chicoulons  proposés avec les étrennes en échange du calendrier des postes !

Du temps où les mandats n’étaient pas virés sur les comptes bancaires, que la carte à puces n’était que dans les limbes de l’esprit de son créateur, c’était le facteur qui remettait en mains propres les espèces sonnantes et trébuchantes. Le pauvre homme n’hésitait jamais à grimper dans les étages et à affronter les chiens de garde spécialisés dans l’attaque du facteur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je me souviens de notre facteur, un petit homme sec, à la chevelure noire et ondulée, aux petits yeux ronds et mobiles, affable avec ses blagues courtes et rigolotes, un visage creusé, barré par un sourire jauni par une sempiternelle cigarette collée au coin de sa bouche. Il paraissait toujours pressé, je ne sais pas si c’était par dévouement professionnel ou par des envies pressantes de soulager une vessie souvent pleine.

 

                                      Désiré-Bienvenu était tellement zélé qu’il semblait vous porter des mandats ou des calendriers tous les jours.                                     Son engouement pour le service public était hors norme. Il montait dans les étages, s’arrêtait à chaque palier ou                               traversait à grands pas et à reculons des jardins se protégeant avec sa sacoche en cuir pour éviter les mâchoires                                    de chiens méchants qui avaient une dent uniquement contre les facteurs. Il n’hésitait pas à remettre en mains 

                              propres de   simples lettres ou des cartes postales comme si elles avaient été expédiées en recommandé avec                                        accusé de réception et naturellement, le chicoulon il ne le refusait jamais !

 

Sauf une fois quand il arriva, hébété, le visage tuméfié, sur les coups                                 de trois heures de l’après midi - évidemment ça rallongeait les tournées - il refusa le petit verre de vin rouge que                                       ma mère lui présentait lui disant avec du tremolo dans la voix : « Tu comprends aujourd’hui je suis un peu pressé,                             je dois aller au docteur, la chaîne du vélo, elle fait que dérailler, et depuis ce matin ça fait au moins vingt fois que                                 je m’estramasse en tombant ! Je suis bouffi de tous ces bleus et je commence à ressembler à un schtroumpf ! »

Trois jours après pour sauvegarder les matériels confiés par l’administration et accessoirement ne plus prendre de risques inconsidérés concernant la santé de son facteur, le receveur principal des postes et télécommunications de notre village avait décidé de supprimer l’usage du vélo sur la tournée de Désiré-Bienvenu.

Un récit de Robert Monetti.

Illustrations : Images du web

bottom of page