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Le patron de Cassis

Extrait des "Lettres de mon grenier" de Lubin Susini 

Miracle !... La nouvelle s'abattit sur la foule qu'elle souleva d'enthousiasme : " Vive Saint-Michel" !... Vive Saint-Michel !...

 

Le bel Archange fut séance tenante, installé à la place d'honneur. Il était patron de Cassis, le ciel l'avait désigné.

 

Plus tard, on eu des soupçons... M. le Curé se garda bien de dire qu'il manquait un bon verre à la bouteille de vin de messe dans le placard dont Toine seul avait la clé.

 

Et puis Toine n'avait jamais aimé Saint-Pierre, n'étant lui même ni marin, ni pêcheur. Peut-être aussi avait-il été soudoyé par le clan des femmes !

 

​On raconte aussi que le lendemain, dans la nuit, une terrible tempête éclata dans la baie. Les vagues, envahissant le port, avaient arraché les barques de leurs amarres et les pauvrettes s'entrechoquaient avec de grands bruits sourds comme des râles, Saint-Pierre se vengeait.

 

Il paraît même que la dévote Jeanne, la seule femme tenant pour Saint-Pierre, avait rêvé qu'au Paradis une dispute formidable avait éclaté entre Saint-Michel et Saint-Pierre, ce dernier accusant son jeune confrère d'avoir obtenu Cassis par fraude électorale !

 

N'empêche que le fait est là ! Saint-Michel a triomphé et Saint-Pierre, plus vieux que jamais, se morfond sur un autel de deuxième classe, au rang de Saint-Antoine et de Saint-Joseph.

 

Heureusement qu'un pilier lui masque la vue de Saint-Michel, son rival heureux, sans cela ! .........

 

 

 

 

Un récit de Lubin SUSINI, Directeur Honoraire de Cours Complémentaire.

Cassis en Provence - Lettres de mon grenier - Au temps des Moulins à vent et des Voiles blanches - 1953

Illustrations : Images du Web

De guerre lasse, malade à force d'y penser, le curé se laissa gagner, espérant par ailleurs que le malin Toine aiderait bien au miracle.

Au fond, il n'était pas de Cassis, il lui importait peu que Saint-Pierre ou Saint-Michel triomphât. L'essentiel était d'en sortir.

 

L'épreuve fut annoncée publiquement.

 

Un dimanche soir, Toine, assisté de quatre témoins, deux Saint-Pierristes et deux Saint-Michelistes, plaça gravement aux pieds de chaque Saint,

un verre plein d'eau et une belle grappe de raisin. Puis on ferma les portes et chacun s'en alla.

 

Le lendemain, tout Cassis était sur place. On ouvrit les portes de l'église. La Commission s'approcha. Miracle !... L'au de Saint-Michel s'était changée en bon vin blanc et la grappe avait disparu. Quand au pauvre Saint-Pierre, il continuait à veiller piteusement sur son verre d'eau.

Toine, le sacristain, vint trouver, un matin le Curé.

Il avait rêvé disait-il, qu'aux pieds de chacun des Saints on avait posé une coupe pleine d'eau et une grappe de raisins.

Au bout de quelques heures, l'eau de l'une des deux coupes s'était changée en vin, celle placée aux pieds du Saint que le ciel avait désigné.

Les Enfants de Marie ne s'expliquaient pas qu'on eu l'idée de s'encombrer d'une pareille horreur.

 

Elles commençaient à murmurer tout bas que Saint-Michel ferait bien mieux l'affaire comme patron de l'église.

Fi ! Quelle abomination, placer cet affreux Saint-Pierre sur l'autel d'honneur en pendant avec la Vierge dorée...

 

Les saintes filles en parlèrent aux dévotes de Sainte-Anne. Bref, l'idée fit son chemin et, au bout de quelques

temps, le vieux Saint-Pierre n'eut plus pour lui que la Confrérie des pêcheurs. 

 

Cette grave question fut agitée au Conseil de Fabrique et M. le Curé, tel Ponce Pilate, conclut qu'il s'en lavait

les mains et qu'il en parlerait à Monseigneur.

 

Monseigneur fit comprendre qu'il avait d'autres chats à fouetter que de s'occuper d'une pareille vétille.

On n'avait qu'à faire une proposition nette. Pendant deux mois, ce fut la révolution à Cassis.

Jamais Saint-Pierre et Saint-Michel depuis des siècles n'avaient tant occupé les esprits.

Au café, Saint-Michel était traité fort irrévérencieusement.

 

- Un Saint qui n'a jamais existé, proclamait François le Tordu, entre deux manilles, une invention de dévots !...

- Peut-être bien qu'il a existé, opinait Léon de Milie, plus respectueux, mais je te le dis, François, un aristocrate,

un propre à rien qui à mis sans dessus-dessous le Paradis.

- Saint-Pierre, affirmait Babois, le président de la Confrérie des Pêcheurs, voilà un brave Saint, un pêcheur

comme nous, un type du peuple. C'est lui qu'il nous faut.

 

 

Cependant les bonnes femmes continuaient leur croisade en faveur de Saint-Michel, un beau et vaillant soldat.

- Ah !... Ce n'est pas lui qui aurait renié son maître par trois fois !

 

Il fallait pourtant consacrer la nouvelle église. M. le Curé, croyant être bien inspiré, mit aux voix la question.

 

Miracle !... Le jour du dépouillement, le résultat donnait :

 

"Saint-Pierre : 500 voix !

"Saint-Michel : 500 voix !

Et tout le monde avait voté...

 

A quel Saint se vouer, Mon Dieu ?

C'était bien le cas de se le demander.  

Le ciel allait résoudre la question.

Qu'il paraissait laid, le brave Saint-Pierre, aux côtés de son élégant confrère du Paradis ! 

Vieux, barbu, l'Å“il déteint, l'air phtisique, le manteau écaillé, il subissait le regard narquois

de Saint-Michel, dont la figure poupine semblait insulter sa décrépitude

Saint-Michel est le patron de Cassis. Pourquoi pas le grand Saint-Pierre, me direz-vous ? Le grand Saint-Pierre, qui partout ailleurs, protège les pêcheurs dont il illustra jadis la corporation, le grand Saint-Pierre qui, autant que la "Bonne Mère", compte des centaines de chapelles sous son vocable ?

 

Pour vous l'expliquer, il me faut vous conter tout un véritable drame dont les péripéties commencèrent à se dérouler à Cassis, pour continuer

dans le Paradis, oui !... Dans le Paradis, drame dont le dénouement en faveur de Saint-Michel aboutit à brouiller irrémédiablement les deux Saints.

 

Il y a de cela des années, plus d'un siècle, la vielle église paroissiale de Cassis dédiée à la Bonne Mère, menaçait ruine.

 

On convint d'en édifier une nouvelle que l'on placerait sous le vocable de Saint-Pierre, puisque la Bonne Vierge avait déjà sa chapelle à Port-Miou.

Tout le monde était d'accord. On se mit à l'ouvrage. Les choses allèrent vite, car on avait à volonté de cette belle pierre de Cassis, blanche comme du marbre et solide comme du granit.

 

En deux ans la construction était achevée. Elle était l'orgueil de Cassis. C'est qu'elle avait l'air d'un beau palais d'Italie, la nouvelle église, avec ses murs percés de grands vitraux, son portail imitant le gothique, flanqué de sveltes colonnes toscanes, comme ont les villas romaines.  

 

A l'intérieur, deux rangées de piliers supportaient une voûte en berceau avec des coins d'ombre faits exprès pour recueillir les prières et les fumées d'encens.

 

Six autels de marbre s'alignaient le long des nefs latérales, trois de chaque côté. Deux autres occupaient chacune des fonds de ces mêmes nefs, faisant pendant au maître-autel. Sur celui de droite, on placerait la Vierge ; sur celui de gauche, Saint-Pierre, le futur patron de Cassis.

 

Les dons affluaient. Un retraité de la marine, que l'âge avait rendu sage et dont on oubliait les fredaines d'autrefois en raison de sa piété avait offert un superbe Saint-Joseph.

 

Le maître de carrière s'était rabattu sur un Saint-Antoine.

 

Un Sacré-CÅ“ur était venu de Paris. Une Vierge dorée, fruit d'une souscription, brûlait d'impatience de trôner à droite du chÅ“ur.

 

Et la congrégation des Enfants de Marie, je ne sais pourquoi, avait donné un Saint-Michel beau comme l'Archange devait l'être, et qu'on avait placé en attendant, près du vieux Saint-Pierre, le seul Saint jugé digne de transporter ses pénates dans la nouvelle église.

 

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