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THÉO VARLET

(12 mars 1878, Lille – 6 octobre 1938, Cassis)

L’illustre méconnu

 

 

 

Poète précoce, cheminant dans toute l’Europe, adepte de la vie dans la nature et de l’amour en liberté, anarchiste, païen et panthéiste, mystique de l’harmonie avec le cosmos, en un mot dionysiaque, tel était Varlet le Lillois. C’est à l’été 1905 qu’en compagnie de son grand ami le peintre Jean Baltus, il eut la révélation de Cassis. Il conte cet épisode décisif dans un article paru en 1930 dans le journal « Calendal » dont on lira ci-dessous un extrait. Déjà en 1923 il écrivait dans la revue « La Rampe », en date du 15 février :

« En 1905, la découverte de Cassis, paysage unique, dont aucun de mes souvenirs éblouissants de Sicile et de Grèce n’éclipsait la beauté originale, âpre et sauvage, avec ses calanques et ses vallats,  pareils à des décors tragiques pour grand opéra eschylien. J’y vis d’emblée le site élu, le pays prédestiné. Si bien que, quatre ans plus tard, en 1909, j’y transportais mes pénates des rives de la mer du Nord ».

Théo Varlet dans les années 1920

J. Baltus 1911, L’Eissadon, Coll. part.

Plus détaillée, sa découverte de Cassis dans « Vingt ans de Cassis », extrait d’un long article paru dans le n° 4 du bi-mensuel « Calendal », le 18 novembre 1930, et destiné à soutenir au nom de la beauté le combat engagé par le journal contre l’implantation d’une cimenterie près de la voie ferrée; il s’y glorifie d’avoir découvert un site que nul avant lui n’aurait élu. « 1905, c’est cette année-là que la « découverte » de Cassis eut lieu pour moi-même. Le hasard m’y conduisit. Mon ami le peintre Jean Baltus et moi, nous étions venus d’Avignon à Marseille, cyclant avec nos jarrets de vingt-cinq ans et vent arrière, par une nuit merveilleuse de pleine lune et d’aventure. La matinée se passa bien ; mais, la bouillabaisse mangée, la fatigue se fit sentir. Le soleil d’une fin d’après-midi de fin août foudroyait le Vieux-Port, et nous faisait aspirer à des fraîcheurs… Fuir la grande ville !

Mais où aller ?... Les vélos rangés au bord du trottoir, on déploya la carte routière sur une table de bar.

« Cassis ! » Pourquoi ce nom avait-il happé mon regard aussitôt ? Lui seul existait pour moi, auréolé d’un prestige mystérieux. D’après sa situation sur la côte, j’imaginais un refuge adorable, en pleine nature, face à la mer éternelle.

 

L’ami Jean, lui, rechignait, ne comprenant rien à ma toquade. Lui, ne voyait que des signes cabalistiques : 

« Attention ! mauvaise route, descentes rapides », et le chemin de la Gineste ne lui disait rien qui vaille. Mais je n’en démordais pas. Il me fallait Cassis. Et la Gineste devait être d’un pittoresque !... Pour décider Jean, toutefois, je dus consentir à prendre un itinéraire plus long mais moins accidenté, par Aubagne et La Bédoule. Les démons de la route s’en mêlèrent.

 

Vers Saint-Marcel, un cahot dans les rails du tramway fit éclater plusieurs rayons de ma bécane, ainsi que la jante d’aluminium, qui se mit à battre à chaque tour de roue, comme un tourniquet de la foire aux pains d’épices, contre la fourche arrière… tant et si bien qu’à Aubagne, je fus contraint de déposer la machine chez le réparateur et d’attendre le train pour Cassis, tandis que Jean continuait par la route, me donnant rendez-vous « au bistrot du coin ». J’arrivai à la tombée de la nuit. La vieille patache me descendit de la gare jusqu’au port, parmi les torrents de poussière qui laissaient à peine entrevoir les oliviers tout blanchis faisant le long de la route comme une procession de fantômes. Je retrouvai Jean, mais la soirée fut maussade. Nous étions harassés. Et quelle nuit ! Moustiques, puces et peut-être même punaises !... Moi-même, je pestais contre Cassis, regrettais d’y avoir jamais mis les pieds. .. Nous nous jurions bien de repartir, dès la première heure.

 

Mais le lendemain, quel réveil ! Quelle récompense ! Quoique connaissant déjà les côtes d’Italie, de Sicile et de Grèce, ce fut le coup au cœur d’une révélation de beauté que je connus ce matin-là. De ma fenêtre d’hôtel, je découvrais dans la jeune lumière la place Cendrillon, fraîche et idyllique avec sa fontaine bavardante ; et plus loin, le port et la baie sous la colline du château qui allonge paresseusement dans l’eau d’un bleu d’encre violette sa pointe du Lombard. A quelques cent mètres, cette pointe avait un charme envoûtant, un attrait d’exotisme ; c’était le bout du monde, et toute l’aventure ! Nous restâmes.

 

Et ce furent des jours inoubliables, ensuite, à découvrir pas à pas ce pays… « Les calanques !... Solitude magique de ces ravins isolés du monde, déserts comme au jour de la création ; apaisement de l’Eden retrouvé sur la terre, en pleine période civilisée », comme je devais l’écrire plus tard*(1)… Vingt ans avant que ce ne fût à la mode, nous inventâmes pour notre propre compte le bain de soleil, sur les terrasses de rocher, au bord des « aquariums » marins… Même, pour mieux goûter le paysage sous tous ses aspects, pour nous en imbiber, les journées ne suffisant plus, nous nous avisâmes de passer deux nuits à la pointe de la Cacau, couchant dans une vieille cahute de douanier, en pierre, pareille de forme au « tombeau d’Agamemnon » à Mycènes, et où nous faillîmes bel et bien nous asphyxier en allumant des branches de pin pour combattre la fraîcheur nocturne. Après quoi je préférai terminer la nuit dehors, étendu à même le roc, sous les étoiles divines… Cela s’appellerait aujourd’hui   « faire du camping » et n’aurait rien d’extraordinaire ; mais en 1905, on nous crut fous. Je revois encore la tête du brave épicier, M. Blanc, et de quels yeux ronds il nous regardait lorsque, tout en nous approvisionnant de vivres et de vin pour deux jours, nous lui demandâmes de nous prêter deux sacs d’emballage pour nous servir de couvertures ! »

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*(1) En 1926 dans « Monsieur Mossard, amant de Néère », p. 28. Varlet cite de mémoire, le texte du roman étant : « Solitude magique de ces recoins isolés du monde, déserte comme au jour de la création. »

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