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Ce sont aussi les romans. Essentiellement autobiographique, « Le Démon dans l’âme » (éd. Malfère 1923, réédité par Miroirs en 1992) conte la vie de jouissance puis la dégradation du couple dans leur mas pendant la guerre de 14-18. Le roman apocalyptique qui voit la Terre attaquée par les Martiens, « Les Titans du Ciel » (éd. Malfère, 1921) comprend un épisode (chapitre VIII) où le couple de héros cherchant un abri se réfugie à Cassis ; hélas, l’installation violente d’un soviet les fait fuir dans les calanques où l’avion d’un ex-milliardaire, propriétaire du château des Lombards, les récupère. « M. Mossard, amant de Néère » (éd. Montaigne, 1926) est une histoire de métempsychose qui débute au mas du narrateur. Enfin, autre ouvrage de science-fiction où un astronef atterrit au pas de Bellefille, « La Grande Panne » (éd. des Portiques, 1930)*1 .

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Dans ces quatre romans, Varlet conduit inévitablement un duo d’amoureux vers ces calanques qu’il découvrit en 1905 et qui restaient pour lui un havre préservé de tout artifice et prédestiné à l’extase sensuelle. Mieux que tout autre, son style lyrique et souvent flamboyant a su en exalter la beauté*2

« Le Démon dans l’âme » (1923, éd. Malfère, rééd. Miroirs 1991) Après un long séjour en pleine nature à l’Ile du Levant, le Lillois Etienne Serval (quasi anagramme de Varlet) et sa compagne, la belle et jeune Ida, s’installent au « Mas des Genêts » à Seyssac (dénommé par inversion de 

« Cassis »). Dans ce roman situé pendant la guerre de 14, le café Liautaud s’appelle « du Progrès », l’avenue V. Hugo « Le Cours », le Gibaù « mont Ribaou » et la Couronne de Charlemagne fort justement « mont Diadème ». Les deux héros, suspectés pour leurs mœurs libres d’être des espions allemands, y vivent à l’écart d’une population que le récit n’épargne pas : 

à l’exception de leur vieux propriétaire, dans ce « trou à cancans » ce ne sont que « langues de vipères » et « odieux habitants ». Mais le mal ou 

« le démon » rattrapera ceux qui ont voulu vivre dans et par cette libre et heureuse volupté qu’illustre la première partie du roman : la consommation de drogue rend folle la bien-aimée et l’indifférence égoïste envahit son amant.

Chapitre II

 

« Un soir d’été, alors qu’il promenait sa fantaisie sur les routes blanches de la côte provençale, une avarie de bicyclette l’avait contraint de coucher à Seyssac. La silhouette du promontoire qu’il aperçut le matin, de sa fenêtre d’hôtel, le mit en goût : il resta. Trois jours entiers, divinement grisé de soleil, d’azur et d’outremer marin, il rêva d’antiques idylles, parmi l’éclatante solitude des rochers littoraux ; il nagea, poursuivant d’idéales sirènes, dans l’aquarium limpide des « calanques » ; et cette nature à la fois nue et belle et tragique – ces terrasses offrant leur blancheur à la lumière implacable, ce décor appelant des fatalités eschyliennes –, émurent en lui des sympathies étranges. Il se promit d’y revenir et il sentit que cette promesse ne serait pas vaine, comme tant d’autres : car un lien préexistait entre ce coin de terre et lui, une affinité occulte et irrésistible qui engageait son avenir… Il rencontra l’Elue. Et tout de suite, il se rappela le décor prédestiné. Pour Ida comme pour lui–même, le Nord brumeux et triste n’était que limbes : isolément ils y avaient traîné leur vie chrysalidaire, en attente l’un de l’autre ; sous le soleil méditerranéen, parmi les lumineux décors de Seyssac, leur union éploierait sa métamorphose ailée. Ils découvrirent, à l’écart du village, isolé de la grande route par ses oliviers et sa pente de vignes, un vieux mas à façade rose, volets verts et toit de tuiles rousses. Devant, une manière de terrasse, abritée par un platane, deux ou trois faux-acacias, et tout un fouillis de pittospores, de lauriers-tins, de rosiers. Derrière, quelques gradins plantés d’arbres fruitiers: amandiers, cerisiers, figuiers, pêchers; puis la colline offrant au couple, comme une annexe du domaine prolongé sur une demi-lieue, la belle solitude de son maquis et de ses pinèdes. /…/ Le village même, la « ville » de Seyssac, n’était à leurs yeux, parmi le décor naturel, qu’un détail, un accident du pittoresque. Dans les étroites rues en gradins, ouvertes sur l’outremer du port et l’azur du ciel, et dont le côté d’ombre s’illumine aux clartés des façades peintes, en rose ou aurore, les pigeons familiers, les chats qui par dizaines se chauffent au soleil, avaient pour eux une importance du même ordre que les Italiennes dépoitraillées, en peignoirs mauves ou jaunes, occupées à laver sur leur seuil des sardines de vif–argent dans une cuvette en terre vernissée. Les femmes du port, la marmaille à demi–nue, les pêcheurs en bonnet gênois rouge à retroussis noir, raccommodant leurs filets sur le quai, au long des barques tirées à terre et peintes de couleurs vives à l’imitation des girelles frétillant pêle-mêle avec les rascasses, les baudroies, les poulpes entassés sur les dalles, toute cette humanité primitive faisait fonction de figurants, d’accessoires obligés. Avec les simples, toutefois, ils en vinrent à échanger quelques mots, de quoi démontrer que leur réserve ignorait la morgue citadine. Et, de fait, chez le menu peuple, le spectacle de leur bonheur n’éveillait point la jalousie – qui suppose une certaine égalité –, mais plutôt une sympathie déférente et amusée. Il n’en allait point de même chez la bourgeoisie et les notables. /…/( p. 26–27)

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Chapitre III

 

… Sur la prière de ses amis, Etienne les guida par le plus âpre des collines. Il leur montra ces paysages naguère inconnus, alors déjà familiers à quelques peintres et amateurs de vierge nature, mais où les touristes viendront en foule s’extasier sur commande, lorsque des routes praticables livreront aux autos ce massif calcaire que chauffe le soleil de Provence et qui égale en beauté sauvage les sites les plus renommés du Péloponèse. Ils parcoururent de longs plateaux arides, dont la roche rongée, fissurée, crevassée par le sec et l’humide et le chaud et le froid, se désagrège en un cailloutis qui déroule sous les pieds avec un bruit de ferraille ; ils arpentèrent de blanches solitudes parsemées çà et là de maigres buissons, kermès rabougris, tue–chèvres épineux fleuris d’or jaune, genévriers bourrus, cistes et bruyères roussies, romarins, thyms et lavandes ; ils traversèrent des reboisements de pins obstinés à vivre dans les pierres qui crèvent le tapis des aiguilles tombées ; ils descendirent en des vals déchiquetés et farouches, muets, sans un oiseau, torréfiés de soleil, dont les crêtes se découpent sur l’azur avec un relief de paysage sélénite ; ils virent s’étaler au bas de la montagne l’indigo brasillant de la mer, sous un haut promontoire aux falaises safranées, qui se mua, vers l’heure du coucher du soleil, en fabuleux rempart de cuivre rouge…(p. 33–34)

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*1 « Les Titans du Ciel » et leur suite, « L’Agonie de la terre », ont été réédités sous le titre « L’Epopée martienne » (éd. Encrage, 1996) ; « La Grande Panne » est téléchargeable gratuitement sur le site http://blog.epagine.fr/.

*2 Francisco Hermosin a consacré à Varlet un site remarquable : https://lemasduchemineau.com/2014/07/28/theo-varlet-poete-de-proue/

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